11

Minuit.

Ils redescendirent à vélo Hawk Drive jusqu’à Broadway, puis suivirent Broadway pour déboucher sur Palisades Lane. Ils s’arrêtèrent devant l’escalier en bois qui menait à la plage publique. De l’autre côté de la rue étroite, d’élégantes vieilles maisons espagnoles donnaient sur la mer. La nuit était calme, la ville dépourvue de circulation. On n’entendait pour seul bruit que le martèlement régulier du ressac à quinze mètres en dessous d’eux. À partir de là, leur route se séparait : la maison de Roy se trouvait à plusieurs blocs au nord, et celle de Colin vers le sud.

— À quelle heure on se voit ? demanda Roy.

— On se voit pas. Je veux dire, je pourrai pas, répondit Colin, l’air désolé. Mon père arrive de Los Angeles pour m’emmener à la pêche avec sa bande de copains.

— Tu aimes pêcher ?

— Je déteste ça.

— Tu peux pas y couper ?

— Pas question. Il passe deux samedis par mois avec moi, et il en fait tout un truc à chaque fois. Je ne sais pas pourquoi, mais je suppose que ça compte pour lui. Si j’essaie de me défiler, il en fera tout un plat.

— Mais à l’époque où tu vivais avec lui, est-ce qu’il te consacrait, ne serait-ce que deux jours par mois ?

— Non.

— Alors dis-lui de prendre sa rame et de se la foutre au cul. Dis-lui que t’iras pas.

Colin hocha négativement la tête. « Non, c’est impossible, Roy. Je ne peux pas, c’est tout. Il croirait que ma mère m’a incité à le faire, et après ça ferait vraiment du grabuge entre eux. »

— Qu’est-ce que ça peut te faire ?

— Je suis entre les deux.

— Alors on se retrouve demain soir.

— C’est râpé aussi. Je serai pas rentré avant dix heures.

— Je crois vraiment que tu devrais lui dire de se la carrer au cul.

— On se verra dimanche. Passe vers onze heures. On aura une heure pour se baigner avant de déjeuner.

— D’accord.

— Après on pourra faire ce qu’on veut.

— Ouais, ce sera sympa.

— Bon… alors à dimanche.

— Attends une minute.

— Hein ?

— Bientôt, si je peux nous arranger ça, tu veux qu’on se paie une partie ?

— Une partie de quoi ?

— Une partie de jambes en l’air.

— Oh !

— Tu veux ?

Colin était gêné. « Où ? Enfin, avec qui ? »

— Tu te rappelles des filles qu’on a vues ce soir ?

— Au Pinball Pit ?

— Non. Ce sont des gamines. Des allumeuses. Je te l’ai déjà dit. Je parle de vraies femmes, comme celles de ce film.

— Et alors ?

— Je crois savoir où je peux nous trouver un aussi joli petit lot, une fille exactement dans le genre de celles-là.

— T’es saoul ou quoi ?

— Je suis sérieux.

— Et moi je suis Colin.

— Elle a un très beau visage.

— Qui ?

— La fille qu’on doit pouvoir avoir.

— Seigneur !

— Et de très gros nichons.

— Vraiment gros ?

— Vraiment.

— Aussi gros que Raquel Welch ?

— Encore plus gros.

— Gros comme des montgolfières ?

— Je raconte pas de bobards. Et elle a une paire de jambes superbes.

— Tant mieux. Les filles cul-de-jatte ne m’ont jamais vraiment branché.

— T’arrêtes tes conneries ? Je t’ai dit que je racontais pas d’histoires. Elle est super.

— Tu parles !

— Si, vraiment.

— Quel âge a-t-elle ?

— Vingt-cinq ou vingt-six.

— D’abord, il faudra que tu portes une fausse moustache. Ensuite, tu pourras monter sur mes épaules, et on se mettra dans un seul costume, un seul pour nous deux, comme ça elle ne se rendra pas compte que nous ne sommes que deux gamins. Elle croira qu’on est un grand et beau mec brun.

Roy se renfrogna. « Je parle sérieusement. »

— T’as beau continuer à répéter ça, tu ne me parais pas très sérieux.

— Elle s’appelle Sarah.

— Une belle fille de vingt-cinq ans ne s’intéressera ni à toi ni à moi.

— Peut-être pas tout de suite.

— Ni jamais.

— Il lui faudra juste un peu de persuasion.

— De persuasion ?

— À nous deux, on devrait pouvoir la tenir.

Colin le regarda, bouche bée.

— T’as envie d’essayer ? demanda Roy.

— Est-ce que tu parles de… viol ?

— Et quand bien même ?

— Tu veux finir en prison ?

— Elle est super. Elle vaut la peine qu’on prenne le risque.

— Personne ne vaut la peine qu’on aille en prison.

— Tu l’as pas vue.

— En plus, c’est mal.

— On dirait un prédicateur.

— C’est horrible de faire ça.

— Pas si c’est bon.

— Ce sera pas bon pour elle, en tout cas.

— Elle sera amoureuse de moi dès que j’en aurai fini avec elle.

Rougissant violemment, Colin dit : « T’es bizarre. »

— Attends de voir Sarah.

— Je ne veux pas la voir.

— T’auras envie d’elle dès que tu l’auras vue.

— Tout ça, c’est du baratin.

— Penses-y.

Une camionnette de couleur crème passa sur Palisades Lane. Un paysage de désert, composé de crânes ricanants, était peint sur le côté.

Ils entendirent du rock qui hurlait et le rire haut et mélodieux d’une jeune fille.

— Penses-y, répéta Roy.

— C’est inutile.

— Une belle paire de nichons.

— Seigneur !

— Réfléchis.

— C’est comme cette histoire de chat. T’irais pas tuer un chat, pas plus que t’irais violer qui que ce soit.

— Si j’étais sûr de pouvoir m’en tirer à bon compte, je te garantis que je me paierais une ou deux parties de jambes en l’air avec cette Sarah, ça tu peux me croire, mon pote.

— Je te crois pas.

— Si on se met à deux, on peut s’en sortir. C’est facile. Vraiment facile. Est-ce qu’au moins, tu veux bien y réfléchir pendant deux jours ?

— Laisse tomber, Roy. Je sais que tu es en train de me mener en bateau.

— Je plaisante pas.

Colin soupira, hocha la tête, et regarda sa montre.

« J’ai pas de temps à perdre à écouter ces foutaises. Il est tard. »

— Réfléchis.

— Putain !

Roy sourit. L’étrange lumière métallique lui jouait des tours, faisant ressembler ses dents à des crocs ; la froide lueur du réverbère à vapeur de mercure donnait une teinte bleutée à ses dents, noircissant et accentuant les interstices entre chacune d’elles, les faisant paraître pointues et acérées. Aux yeux de Colin tout au moins, Roy semblait grimé pour un bal costumé, comme s’il portait ce genre d’affreux dentier en cire qu’on achetait dans les magasins de farces et attrapes.

— Il faut que je rentre chez moi, dit Colin. À dimanche, onze heures ?

— D’accord.

— N’oublie pas ton maillot.

— Amuse-toi bien à ta partie de pêche.

— Y’a pas de danger !

Colin enfourcha son vélo, cala ses pieds sur les pédales, et fonça vers le sud sur Palisades Lane. Tandis que le vent sifflait au-dessus de lui, que le fracas implacable du ressac retentissait sur sa droite, et que sa peur d’être seul dans l’obscurité le reprenait, il entendit Roy crier dans son dos :

— Réfléchis !

La voix des ténèbres
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